L’orange est le principal agrume produit au Bénin. Il s’agit également du second fruit le plus produit et commercialisé dans le pays après la banane. L’orange est par ailleurs très appréciée sur le marché local pour les nombreux enzymes, vitamines et minéraux qu’elle contient et particulièrement plébiscitée par la communauté musulmane du pays pendant le mois de Ramadan, notamment lors de la rupture du jeûne (Iftar). Si les changements climatiques impactent déjà grandement la filière favorisant ainsi l’abondance de fruits de petits calibres et limitant de plus en plus les rendements depuis quelques décennies, la production au Bénin fait surtout face à un certain nombre de freins qui entravent son développement. Les oranges ont en effet enregistré un rendement de 1,46 tonnes / ha en 2019, le quatrième plus faible au monde. Fabrice Afloukou, Phytopathologiste, spécialiste de la pathologie des agrumes, titulaire d'un doctorat à l'Université de Çukurova (Turquie) et aujourd’hui assistant de recherche rattaché au Laboratoire de Phyto-technie, d'Amélioration et de Protection des Plantes (Faculté d'Agronomie / Université de Parakou), expose ici les défis et perspectives de l’agrumiculture au Bénin.
Dr Fabrice M. Afloukou
L’état sanitaire actuel des vergers, mal connu au Bénin
« Partout dans le monde, la production d’agrumes est généralement limitée par un certain nombre de maladies, qui ont des conséquences économiques importantes. C’est particulièrement le cas pour les maladies causées par des parasites obligatoires (virus, viroïdes, phytoplasmes, mycoplasmes) », explique Dr. Fabrice Afloukou.
« Au Bénin, l'état sanitaire actuel des vergers est mal connu. Des symptômes du virus de la Tristeza (citrus tristeza virus), le plus redoutable virus des agrumes a été signalé dans quasiment tout le pays dans les années 1970. Le Bénin a effectivement fait l'objet d'infections massives dues au virus par le passé. Des insectes vecteurs du virus (Aphis gossypii et Toxoptera aurantii) sont présents dans les vergers agrumicoles du pays. Par ailleurs, le virus a récemment été signalé en abondance dans des états (Ogun, Osun, Oyo et Lagos) du Nigéria voisins aux zones de production du Bénin. Malgré tout cela, aucune étude récente n'a été conduite pour déterminer, la présence, l'épidémiologie de la maladie ou caractériser ledit virus. Il en est de même pour la maladie de l'exocortis, responsable d'importantes pertes de rendement à travers le monde. D'autres maladies (Psorose des agrumes, Huanglongbing, stubborn des agrumes, xyloporose des agrumes, etc.) non encore identifiés pourraient être en train de sévir dans les vergers du pays ».
Une forte pression des maladies et ravageurs sur les agrumes au Bénin
« Lors de la mise en place des vergers commerciaux, une myriade de variétés d'agrumes avait été introduite dans le pays entre 1961 et 1972. La sensibilité aux maladies et ravageurs, la mauvaise adaptation aux sols et climats locaux ont poussé à l'abandon de plusieurs variétés. Aujourd’hui, on compte parmi les variétés d’agrumes au Bénin des limettiers mexicains (Citrus aurantifolia ) et ranpgur (C. limonia) ; des mandarines communes et Clémentine (C. clementina Hort. Ex Tan) ; des tangelo Minneola, Wekiwa et Orlando (C. reticulata x C. paradisi), du tangor Ortanique (C. reticulata × C. sinensis) et de la tangerine Dancy (C. reticulata Blanco) ainsi que des pamplemousses (Citrus paradisiMacfad ) Shambar et Marsh ».
En ce qui concerne l’orange, les variétés Hamlin, Pineapple et Valencia sont les plus répandues dans les vergers du pays. « La variété Pineapple est tellement sensible à la Tristeza qu'elle est utilisée comme indicateur de la maladie au niveau mondial. Par ailleurs, le principal porte-greffe utilisé dans le pays est le limettier rangpur. Ce dernier présente deux défauts majeurs : sa sensibilité à la maladie de l'exocortis (citrus exocortis viroid), et à la gommose phytophtora ».
Aux maladies, il faut ajouter les ravageurs, responsables de pertes importantes en vergers. « Les termites creusent des galeries dans les troncs des plans d'agrumes. Les mouches de fruits quant à elles, rendent les fruits frais impropres à l'exportation à cause des tâches que laissent leurs piqûres sur la surface des fruits. La mineuse des agrumes (Phyllocnistis citrella) constitue un sérieux problème pour les pépinières et les jeunes plantations. Les cochenilles produisent du miellat sur lequel se développe la fumagine.
Une mauvaise gestion des pépinières
Depuis des décennies, les vergers et pépinières font l’objet de mauvaise gestion. Ces dernières sont implantées à même le sol, exposant les greffons au Phytophtora spp. Les jeunes plants sont transportés avec des racines nues. Souvent ils sont mal greffés et dans des conditions sanitaires précaires. Dans certaines zones, les plants ne sont même pas greffés. Les plantations sont mises en place avec une densité très élevée et abandonnées aux aléas de la nature. Les plants sont rarement taillés, irrigués, traités contre les ravageurs et maladies. La pratique consistant à associer les agrumes à d'autres cultures est dangereuse dans le cas où ces dernières sont soumises aux mêmes insectes ravageurs, ce qui augmente la pression sur les agrumes.
« Enfin, la mauvaise gestion des fruits après la récolte, le faible niveau de transformation et le manque d'organisation des chaînes de valeur, font que beaucoup de fruits sont perdus après leurs récoltes ».
Le département du Zou est le plus propice à la culture d’agrumes
Le Bénin dispose de trois climats : subtropical, soudano-guinéen et soudanien.
« Les agrumes ont besoin en moyenne de 21-30°C, et de 1 016-1 143 mm d'eau bien répartis pour leurs activités physiologiques optimales. La zone soudanienne (950-1 300 mm d’eau/an, température moyenne 17 à 33°C, humidité relative 20-47 %) avec sa longue saison sèche de 6 mois pourrait infliger un stress hydrique important aux agrumes à moins de recourir à l'irrigation. Les plantations situées dans la zone subéquatoriale (950 et 1 500 mm d’eau par an, température moyenne entre 24 et 31ºC et humidité relative moyenne de 58-95 %), seront sujettes à plus de maladies fongiques et bactériennes ».
« Les raisons précédemment évoquées ont sûrement guidé les pionniers de l'agrumiculture intensive au Bénin à implanter la majeure partie des bases de la culture dans la zone soudano-guinéenne (1 200 mm de pluie/an, températures moyennes entre 22.5 et 35.2 °C, humidité relative moyenne de 30-83 %) et subéquatoriale du pays dans les années 1960. Ainsi, des collections d'agrumes ont été implantées à Toué/Bohicon, Sékou/Allada, Allahè/Za-kpota. Un parc à bois à Toué/Bohicon, et des essais de porte-greffes se situent à Allahè/Za-kpota. Des vergers avaient été implantés un peu partout dans le pays de Akassato à Manlanville, mais le département du Zou dans le centre du pays s'est révélé le plus propice pour la culture d'agrume ».
Des agrumes de couleur verte : un frein à l’exportation en Europe ?
« De façon générale, les températures nocturnes supérieures à 13-15°C, spécialement lors de la période de maturation des fruits sont responsables de la conservation de la couleur verte des agrumes mûrs dans les zones tropicales contrairement aux zones tempérées (le bassin méditerranéen par exemple) qui offrent des fruits de couleur orange ou jaune selon le type d'agrume. Cet état de chose pourrait constituer un frein à l'exportation des agrumes frais du Bénin vers l'Europe».
La production d’oranges, de plus en plus extensive au Bénin
« Une étude conduite par Félicien Akohoue et ses collaborateurs en 2017 dans le département de Zou, estime la taille moyenne des vergers agrumicoles à 3.18 hectares. Par ailleurs, le graphique ci-dessous rendant compte des rendements et superficies récoltées de 1960 à 2019, met bien en avant le fait que la production des oranges est de plus en plus extensive dans le pays.
Source FAOSTAT2021
La filière agrume : une possible solution aux problèmes socio-économiques du Bénin
« Bien que la situation actuelle des agrumes soit très préoccupante, des solutions simples, adaptées à nos moyens et conditions existent, et n'attendent qu'à être appliquées. La filière agrume pourrait être une excellente solution aux problèmes socio-économiques du Bénin vu qu'elle génère d’importants revenus. A titre d'exemple, la Turquie a produit 4,30 millions de tonnes d'agrume en 2019 et en a exporté 1,60 million de tonnes pour une valeur de plus de 750 millions de dollars américain. L'avantage comparatif dont dispose le Bénin sur ses voisins (Burkina-Faso et Niger notamment), en termes de conditions pédoclimatiques pour la culture des agrumes devrait inciter les pouvoirs publiques et partenaires au développement à concentrer un peu plus d'efforts sur la filière agrume au Bénin ».
Une connaissance approfondie de l’état sanitaire des vergers agrumicoles nécessaire
« Afin d’améliorer la filière, il faudrait dans un premier temps acquérir une connaissance approfondie de l'état sanitaire des vergers agrumicoles du pays. Il est essentiel de connaître les maladies ayant un impact économique majeur sur les agrumes dans le pays, leurs distributions géographiques ainsi que la caractérisation moléculaire et ou biologique des agents pathogènes à la base de ces maladies. Ceci faciliterait le choix de nouvelles variétés (porte greffes essentiellement). Il est aussi nécessaire que les pouvoirs publics mettent en place un programme de certification et de production de plants d'agrumes exempts de pathogènes.
« La seconde piste d’amélioration concerne la gestion des ravageurs dans le strict respect de l'environnement et de la santé des consommateurs dans le sens où certains ravageurs sont des vecteurs de maladies. L'utilisation de bio-pesticides constitue une piste sérieuse. Aussi faut-il répertorier l'ensemble des ravageurs présents sur les agrumes dans le pays ».
Une formation des pépiniéristes et agrumiculteurs indispensable
« La formation des pépiniéristes et agrumiculteurs aux bonnes pratiques agrumicoles s'avère primordiale. Les pépiniéristes ont besoin de renforcement de capacités en rapport avec la conduite des pépinières d'agrumes. Il faut entre autres vulgariser la désinfection des outils de greffage et de taille à l'aide de l'eau de javel concentrée à 2-5 % tandis que la mise en place des jeunes plants à même le sol, le greffage trop rapproché au collet, le transport des jeunes plants à racines nues, l'utilisation de sol lourd et non stérilisé pour la mise en place des pépinières est à déconseiller ».
La densité des plantations mérite par ailleurs d’être revue à la baisse. Les écartements de l'ordre de 7 x 7 m, 7 x 7.5 m, et 8 x 8 m permettraient une bonne aération des plantations et la réduction de la compétition entre les plants pour l'accès aux rayons solaires.
« Les associations de cultures dans les vergers d'agrumes comportent quelques risques. Les associations agrumes–maïs et agrumes–coton par exemple pourraient augmenter la pression parasitaire sur les agrumes dans le sens où ces trois cultures ont en commun le puceron du cotonnier (Aphis gossypii Glover) et le puceron des carottes (Myzus persicae) comme ravageurs ; deux importants vecteurs de la tristeza (citrus tristeza virus) ; celui de la tomate avec les agrumes pourrait être à la base de la transmission mécanique de l'exocortis d'une culture à l'autre ».
« Par ailleurs, le développement et la mise en place des engrais spécifiques pour les agrumes s’avère indispensable dans chaque zone agro-écologique du pays où le fruit est produit. Il est nécessaire de promouvoir la mécanisation des opérations de désherbage, le traitement phytosanitaire, de taille, de récolte, de ramassage des fruits pourris des vergers, etc. L’appui des pouvoirs publics et des partenaires au développement dans la vulgarisation des scies à poteau, sécateurs télescopiques, pulvérisateurs électriques, des outils de désherbage mécaniques motorisés ou non, sont nécessaires à la réduction de la demande en main-d'œuvre de plus en plus rare ».
Sac d'arrosage portable pour arbres
« En ce qui concerne l'atténuation des effets des changements climatiques, il convient d'installer des méthodes d'irrigation simples et peu couteuses (sacs d'arrosage pour arbre ou bidons couplés aux goutteurs d'arrosage) afin de réduire un tant soit peu le stress hydrique des plants dans la mesure où les saisons sèches deviennent de plus en plus longues et que des poches de sècheresse s'observent en pleine saison pluvieuse. Enfin, la durée de vie des fruits récoltés peut être améliorée grace à leur traitement traitement au fongicide (Imazalil, thiabendazole, sodium ortho-phenylphenate, fludioxonil et pyrimethanil) avant leur transport en cagettes plastiques et non en panier. ».
Pour plus d’informations :
Dr. Fabrice. M. Afloukou
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